L'avantage quand on est mort c'est qu'on ne transpire pas. Le coeur à l'arrêt, les doigts en sont d'autant plus agiles. Nul tressaillement sous les coups de battoir du palpitant, aucun afflux sanguin propre à perturber les sens et surtout les émotions influençaient moins sur le corps, déjà bien assez prompt à trahir. La langue tirée entre ses lèvres en un simulacre de concentration, Aleida pouvait se laisser aller à ses pensées tandis que le grattement de l'épingle venait prolonger le fil de son esprit. Des mois qu'elle n'avait pas osé céder à la tentation. Des mois que le chat qu'elle était au fond d'elle même regardait avec terreur la flamme qui l'avait brûlée. Pourtant, ses sens ne demandaient qu'à se gorger de cette félicité, de goûter à ce plaisir maintes fois ignoré.

Elle cédait à la tentation. C'était une pour une bonne raison, ne cessait elle de se répéter. Son coeur, presque à l'arrêt avec ses ridicules dix battements par second, lui rappelait à chaque instant tout comme les écailles qui remontaient le long de son dos. Certes, son vice lui avait tout pris : ses amis, sa célébrité, le sens de sa vie mais il lui rendrait tout ça. Elle était persuadée être sur la bonne voie. Ses études lui permettaient de mieux comprendre son corps mais aussi de tendre l'oreille et d'essayer de savoir vers qui se tourner pour, qui sait, être soignée un jour. Face aux échecs, Aleida n'était pas du genre à se laisser à la mélancolie.

Aussi se contentait d'elle d'entrer par effraction dans les salles d'étude des mages.

Rien de bien grave, à peine pouvait on l'accuser d'avoir ouvert quelques portes, fouiller quelques tiroirs, voler quelques dossiers alléchants. Trois fois rien. En particulier lorsque venait le sujet de sa condition, ô combien sensible. Certains matins, elle détestait le reflet que lui renvoyait le miroir de sa minuscule chambre étudiante. Si similaire à ce qu'elle avait été et pourtant si différente. Elle se sentait légitime à ce qu'elle faisait, petite créature serpentine toute apprêtée avec son jean cintrée, son chemiser bleu et sa veste en denim. Les cheveux levés en un chignon pratique, elle n'avait conscience que de son épingle à cheveux, de la serrure et de ce qui se cachait derrière la porte.

Cling

Victoire ! Alors que le verrou cédait enfin et que la poignée de la porte s'effondrait avec la mollesse attendue, Aleida sourit avec voracité et leva les yeux. Pour faire à une braguette. Avec une horreur mélangée à de l'appréhension, elle continua de relever le menton pour découvrir le propriétaire si envahissant du pantalon. Homme, trentaine, vaguement familier. Un danger mais rien qui n'effrayait en rien Aleida. Elle en avait vu d'autres. Ses cils battirent avec la grâce d'un papillon tandis qu'elle se relevait avec un sourire ingénu et ses grands yeux de biche.

Holà mi corazón. Tu t'es perdu ? Je peux t'aider ?

Le problème quand on est mort, c'est qu'on ne put plus rougir avec la plus grande candeur.