Nora se dressa sur la pointe des pieds, les mains appuyées sur le bord de la fenêtre de la petite cabane de bucheron perdue au milieu des bois. Son regard balaya l'intérieur sombre, cherchant une silhouette ou un mouvement quelconque, jusqu'à tomber sur deux yeux brillants qui la fixaient. Elle lâcha la fenêtre et fit le tour pour ouvrir la porte. "Eh... ?" Une main puissante empoigna le col de ses vêtements pour l'entraîner à l'intérieur, lui arrachant un cri. "Je te veux pas de mal !" lui assura-t-elle aussitôt, avant que les doigts ne se referment sur sa gorge, lui coupant presque le souffle. La paire d'yeux sembla hésiter, détailla la fragile petite chose coincée dans sa main, son expression apeurée et les quelques cicatrices et autres hématomes qui dépassaient du col de sa robe. Elle finit par relâcher doucement la pression de ses doigts pour libérer la femme qui avait découvert sa cachette. Nora toussa, reprit son souffle et recula un peu, le corps tremblant. "Tu peux pas rester ici, ils vont arriver, ils vont deviner... Ils devinent toujours." "Pourquoi tu me dis ça ?" "Parce que... Je ne sais pas... C'est... Je n'aime pas ce qu'ils font." "Et pourtant tu restes avec eux." "Et où veux-tu que j'aille ? Je suis née dans cette secte, je suis une femme, je n'ai pas d'argent à moi, rien du tout. Ils ont tout... L'appui du maire, les fonds monétaires, l'effectif, les armes, ils sont partout. Moi je n'ai pas le choix, mais toi tu peux encore t'enfuir." La traque avait commencé depuis plusieurs jours déjà et les chasseurs qui pistaient la créature se rapprochaient de plus en plus, ne lui laissant que peu de répit. Elle était épuisée, moralement et nerveusement. "Tu vas continuer à endurer ça ?" "Je suis seule." Une main tendue, un regard adouci. Nora rassembla le peu de courage qu'elle avait pour suivre cette créature, prête à aller n'importe où du moment qu'elle n'avait plus à subir les coups, les humiliations, les horreurs qu'on l'obligeait à voir. Des jours et des semaines à crapahuter dans les bois, les plaines et les petits villages, jusqu'à traverser, par hasard, dans le feu du désespoir, ce portail de liberté et de protection. Un repos bien mérité pour la créature, un nouvel enfer pour l'humaine qui ne pouvait de toute façon pas espérer mieux et qui ne pouvait compter que sur cet ami surnaturel pour adoucir son intégration.

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"Valentine, réveille toi, tu vas arriver en retard !" La gamine grogna, se tournant dans sa couverture. "J'm'en fous, je veux pas y aller." "Je me suis démenée pour t'obtenir cette place à l'école alors tu vas t'y rendre !" "J'ai mieux à faire, je vois Leon dans deux heures." "Leon ? Ce vampire de malheur qui te brise le coeur tous les quatre matins ? Valentine Evans, je te promets que tu vas bouger de ce lit ou je t'y emmène en te trainant par les cheveux si il faut !" La fille de Nora se redressa en attrapant son oreiller et le lui balança à la figure, sous le regard choqué de sa mère. "Tu m'emmerdes ! A quoi bon ?! Tu veux que je fasse comme les Kelly ? Que je fasse cinq ans d'étude et que je termine secrétaire pour un démon alors que je pourrais être sa femme ?!" "Tu ne seras JAMAIS la femme d'un démon, espèce d'idiote !" Aucune des remontrances de sa mère ne réussit à mettre du plomb dans la cervelle de Valentine, et malgré tous ses efforts pour désespérément plaire à une créature qui lui apporterait la tranquillité d'esprit, l'argent, peut-être même l'immortalité, ce fut d'un humain qu'elle tomba enceinte, alors qu'elle sortait tout juste de l'adolescence. En déni de grossesse jusqu'à 7 mois, Valentine accoucha d'une petite fille qu'elle prénomma Jill, parce que Jill Valentine. Trois mois plus tard, Nora décéda d'une crise cardiaque.

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La porte claqua derrière elle et Jill s'arrêta quelques secondes, regardant la cuisine plongée dans le noir. Elle lâcha son sac de cours dans le couloir et s'avança pour aller ouvrir le frigo. Une vieille brique de lait dont elle ne préférait même pas vérifier l'odeur et quelques oeufs. Elle referma la porte. Les lèvres pincées, elle jeta un coup d'oeil sur la table dans l'espoir vain d'y trouver un billet, mais rien non plus. Une boule venait d'apparaître dans sa gorge et elle sentait ses yeux s'embuer, mais elle ravala ses armes pour prendre son téléphone à l'écran pété et appela sa mère. Une, deux, trois sonneries... Répondeur. "Réponds putain." Elle recommença, mordant un peu sa lèvre sous l'angoisse, quand enfin la voix de sa mère se fit entendre à l'autre bout. "T'es fourrée où ?! [...] T'abuses, y a plus rien dans le frigo, tu devais faire les courses ! [...] Mais je m'en fous, tu po... Non, mais attends !" La tonalité de fin d'appel retentit et Jill balança un grand coup de pied dans le frigo, avant de hurler de douleur et de sauter à cloche-pied jusqu'à la table pour s'y appuyer en geignant de douleur. Elle chouina comme ça jusqu'à ce que la douleur cesse, puis son ventre grogna pour lui rappeler le plus important. Elle reprit son téléphone et appela Jax. "Jax, c'est Jill. Ca fait longtemps qu'on s'est pas vu... Oui je sais, mais j'étais occupée. Je me disais qu'on pourrait sortir ce soir tous les deux ? [...] L'italien, ça t'irait ? [...] Je te rejoins dans une demi-heure." Elle raccrocha, alla prendre une douche, se changea, et tira une capote de sa table de nuit.

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Le plafond ondulait, les couleurs du projecteur d'étoiles changeaient toutes les trois secondes dans un dégradé progressif. Le bras tendu vers le haut, Jill passait le bout du doigt sur les vaguelettes en essayant de suivre leur mouvement. Ses pupilles, déjà sombres en temps normal, étaient complètement dilatées et ne laissait plus aucune place à un rayon de couleur. "Eeeh, change la musique, j'aime pas ça." "Flemme." Elle claqua sa langue sur son palais avec agacement et laissa retomber son bras, roulant difficilement sur elle-même pour tapoter la table basse de sa main, jusqu'à tomber sur son téléphone. Maladroitement agrippé, elle l'attira vers elle et se le fit tomber sur la gueule en pestant, pour prendre le contrôle de la musique. Les yeux plissés, elle lut difficilement ce qui s'affichait sur l'écran. 7 appels en absence de l'école et 2 de sa mère. Elle se mit à pouffer de rire et Benji, la loque à côté d'elle, tourna la tête pour la regarder avec curiosité. "C'quoi ?" "Ma mère, et l'école." "T'es une mauvaise fille, Evans." "Et toi t'es un criminel, tu t'tapes une lycéenne." Il fronça le nez et se tourna aussi, passant un bras sur son dos. "Ca t'arrange bien. Qu'est-ce qu'elle veut la vieille ?" "J'sais pas. L'école a dû l'appeler. Mais c'était y a trois heures. Elle a dû retourner avec sa sangsue." "Attends, c'tait pas un poilu la dernière fois ?" "J'sais pas Benji, j'sais plus, tu m'gaves avec tes questions, qu'est-ce que ça peut te foutre ? Refile moi un para', ca redescend." Il ricana et glissa sa main dans ses cheveux, lui donna ce qu'elle réclamait et l'embrassa.

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Ding. Elle bailla largement, se redressa du comptoir sur lequel elle était avachie et laissa sa place à sa collègue qui venait la remplacer. Avant de partir elle alla chercher une glace dans un congélateur puis elle sortit. Dehors, la lumière du jour se prononçait déjà derrière les quelques nuages qui salissaient le ciel. Jill mordit dans sa glace, plissa les yeux et crispa la mâchoire en même temps quand le choc du froid toucha son cerveau, puis elle fourra la main dans sa poche en trainant les pieds sur le trottoir, vers le studio qu'elle avait difficilement réussi à louer. Son portable vibra dans sa poche et elle l'y arracha pour lire le message qu'on lui avait laissé. Un soupire de lassitude s'échappa un peu trop bruyamment de sa bouche et elle dévia de sa route pour rejoindre l'appartement de son fournisseur. Comme d'habitude, les paroles échangées furent brèves. Il lui confia un peu de marchandise, quelques billets pour le paiement, et elle repartit aussi vite qu'elle était arrivée. Vingt minutes plus tard elle retrouvait une nana a l'air nerveux dans une rue, qu'elle enlaçait chaleureusement en lui demandant des nouvelles de son cochon-dinde. Et en même temps qu'elle retrouvait cette amie si précieuse, elle lui rendit sa petite trousse à maquillage malencontreusement oubliée lors de leur dernière soirée pyjama. Cette dernière, en échange, lui tendit une pochette à dessins et les deux filles se promirent de se revoir très vite avant de se saluer et de prendre des chemins différents. Quelques mètres plus loin, Jill ouvrait la pochette pour récupérer l'argent à l'intérieur et la jeta dans une poubelle de rue. Arrivée chez elle, enfin, elle se camoufla dans sa couverture et s'endormit en lâchant quelques larmes de fatigue et de frustration.