Tiberius Rodrigo Rafaello Maria di Borgia est vieux, bien plus vieux que son apparence de quarantenaire bien conservé ne laisse le présager. Derrière son sourire charmeur se cache un vampire de plus de deux cents ans, et bien loin de l’américain modèle…

Né en 1789 dans un petit village de Castille, il est issu d’une longue lignée d’hidalgo espagnol à la généalogie aussi vieille que vile. Ainsi son arrière-grand-père clamait à grand cri descendre du non moins célèbre César Borgia, l’impudent Prince de Machiavel aussi peu espagnol qu’il n’était italien. Tiberius grandit dans l’adoration de ce lointain ancêtre, de son caractère impitoyable et sa soif de pouvoir toujours grandissante. Le monde de la petite noblesse espagnol était terrible et c’est ainsi que cet enfant grandit. Véritable brute manipulatrice, il sut trouver sa place parmi les autres jeunes du village en tant que meneur, et terreur, puis à Séville où il fut envoyé pour étudier les lettres et les arts. Pieux et intelligent, malgré son caractère volontiers brutal et colérique, Tiberius ne rêvait que d’une chose : la gloire. Cette voie lui fut offerte par la guerre et la colère de Napoléon lorsqu’il s’abattit sur l’Espagne. Bercé par les rêves de la Révolution et surtout de l’Empereur, petit noble au sommet de l’appareil, Tiberius ne put résister à l’appel des armes et s’engagea au sein de la Grande Armée.

Soldat aussi doué qu’il était soudard, il se découvrit une vie d’aventure et de rapines, entremêlée de combats sanglants. Malgré la terreur qu’il éprouvait à chaque coup de canon, Tiberius découvrit qu’il aimait l’ordre dur et simple qui régnait dans les rangs des Français. Bien qu’il parlât à peine leur langue, il s’appliqua à être discipliné, mais intelligent. Il essaya de gagner les grâces de ses officiers tout au long de la campagne d’Espagne puis d’Autriche. Fait caporal à la suite de quelques escarmouches, il s’agaça puis s’énerva de voir d’autres, moins doués que lui pour la violence, s’élever malgré son engagement. Haineux de ce favoritisme entre français, il s’efforça de rester patient. Peine perdue pour un jeune homme de vingt ans, il faillit abattre plus d’une fois son capitaine sur le champ de bataille. L’envie de le voir disparaître dans un accident le démangeait. Tant et plus qu’il finit par déserter. L’Autriche écrasée, la guerre était terminée et Tiberius n’était pas idiot. Il savait que les occasions de s’élevaient disparaissaient avec les conflits.

Aussi un beau matin de janvier 1810, il disparut de sa caserne de Vienne. Il emportant seulement quelques souvenirs avec lui ainsi que son arme. Il chevaucha vers la Transylvanie, où il savait que les combats contre les Turcs ne cessaient jamais. D’abord mercenaire pour les caravanes de marchand, il devint rapidement soldat dans la petite armée du duché. Au gré des escarmouches contre les Ottomans et les Tartares, Tiberius se lia d’amitié avec les officiers hongrois et saxons enrôlés dans l’armée. Cultivé, exotique avec son accent, il se présentait comme un fils déshérité d’un Grand d’Espagne. Menteur et inaccessible, il sut trouver sa place parmi ces hussards de luxe et obtint finalement une recommandation pour intégrer la garde personnelle du voïvode de Kronstadt. Parfaitement intégré, jeune officier pieux et prometteur, Tiberius s’efforça de gagner à nouveau les faveurs du seigneur qui l’accueillit à sa table.

Ce fut pour lui le début de sa descente en enfer. Tombé sous le charme de Sigrid, la magnifique fille de son maître, il s’efforça de la charmer. Naquit en lui un désir irrésistible, loin de se douter de sa nature, et un amour singulier. Le soudard aux milles conquêtes, parfois tarifées ou forcées, se découvrit presque un agneau dans les bras de sa belle. Aussi cultivée que maligne, la douce avait en elle cette dureté allemande qui lui plaisait tant. Par quelque miracle, beaucoup de vin et de traits charmeurs il réussit à la conquérir. Du moins le croyait-il. Après de longs mois d’une relation secrète, ils connurent leur premier émoi et réelle dispute. Sigrid refusait qu’il parte à Vienne avec quelques camarades de soif, aussi jalouse que possessive. Dans un éclat de colère, elle révéla sa vraie nature à Tiberius. Elle lui déchira la gorge d’un coup de dents et, poussée par sa soif de sang, s’efforça de le vider de son sang. Le jeune homme ne dut sa survie qu’à la volonté extrême de Sigrid de le délaisser pour hurler et alerter son père. Le seigneur sut la contrôler puis exigea de transformer Tiberius, s’il épousait sa fille.

Confus, terrorisé par la mort, il accepta sans se douter de son geste. Lorsqu’il se réveilla, Tiberius se découvrit changer. Assoiffé d’une nouvelle puissance, celle battante du cœur des hommes, il découvrit sa déchéance. Horrifié par sa nature, il ne quitta guère sa cachette pendant de longues semaines tandis que sa nouvelle femme, épousée au clair de lune, lui enseignait les arcanes des vampires. Tiberius portait en lui la souillure ultime à ses yeux. Toute son éducation religieuse lui imposait de prendre sa propre vie, et de détruire de celle des autres vampires avant. Pendant près d’un an, il vit reclus, sauvage tandis que le Campagne de Russie faisait rage. Il n’en sortait guère que pour mener des assauts contre les Turcs et les Roumains et mieux se nourrir de leur sang lorsque la faim lui demandait.

Il accepta malgré tout sa condition. Était-ce par amour pour Sigrid, née souillée, ou par la peur de la mort, il ne savait le dire. Tiberius était piégé et devait embrasser sa nouvelle nature. Peu à peu, il s’ouvrit aux autres Vampires. Alors que la paix de Vienne régentait l’Europe, il découvrit les liens étroits entre les noblesses des différents pays. Mais surtout leur division face à l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle dynastie, dominée par une femme : les Waldheim. Désireux de conquérir le pouvoir, car telle était la volonté divine dans son châtiment, Tiberius vint trouver Jutta dès les premiers mouvements de la grogne vampirique. Clamant un vague droit du sang le lie avec l’ancienne dynastie Sandström par son mariage, il exigea la Couronne. Et tomba dans un piège. Alors qu’il rejoignait la Waldheim dans son antichambre, sept vampires le lardèrent de coup de poignards, encore et encore avant de le torturer une nuit durant, sans jamais l’achever. Humilié, presque laissé pour mort, par les partisans de Jutta, il jura fidélité à la reine et accepta de la servir pour vingt ans comme assassin et exécuteur royal.

Vicieux et brutal, Tiberius excella dans son rôle et devint peu à peu un fidèle entre les fidèles. Meneur des purges menées par Jutta, il exécuta plus de la moitié des victimes de ses coups de sang. Il pardonna aisément à la reine son coup et salua même son intelligence publiquement. S’il ne pouvait pas obtenir le pouvoir par la force et la brutalité, alors il utiliserait ces mêmes talents couplés à la patience pour s’élever dans l’ombre des Waldheim. Son heure viendrait, il le savait. Après vingt ans, et de moult assassinats et combats, Tiberius sortit épuisé et blasé des épreuves. Lorsque son serment se délia enfin, il demanda à continuer de servir, mais d’une nouvelle façon sa reine.

Satisfaite, Jutta le fit Baron puis l’exila à sa manière aux États-Unis en 1838. Arrivé par la Louisiane, Tiberius fut chargé d’imposer la puissance Waldheim dans ce jeune pays. Devenu industriel, il dépensa des fortunes dans les nouvelles technologies, notamment les conserveries et les métiers à tisser le long du Mississippi. Il créa un petit empire, loin des grandes fortunes de l’époque, en investissant aussi bien dans les pêcheries de la côte Est que les plantations de coton du Midwest. Si la guerre civile américaine porta un coup dur à ses activités, il eut les reins solides et sut se reconvertir dans les mines de charbon des Appalaches. Tout semblait le rapprocher peu à peu de la Nouvelle-Angleterre, qu’il finit par visiter au gré des rachats de pêcheries. Appelé par Eagle Lake en 1910, Tiberius comprit qu’il était désormais chez lui et investit presque tous ses actifs dans la petite ville. Véritable pionnier, et longtemps unique vampire de la ville aux côtés de Sigrid, Tiberius eut malgré tout la surprise de voir une partie de la noblesse migrait peu après la Première Guerre Mondiale. Fidèle, étonnamment peu rancunier, il offrit les clés de son empire industriel à la reine, mais exigea en retour d’être leur avocat en public et surtout leur porte-parole devant les vampires. Faveur accordée, Tiberius devint ainsi un membre à part entière de la ville et de sa politique, véritable hydre tentaculaire depuis près de cent ans. Alors que les remugles des indépendantistes refont surface et que la pression des Traqueurs écartèlent les avis à la Cour, le petit hidalgo castillan voit peut être son heure approcher peu à peu...