"Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, et de toutes choses visibles et invisibles."

Sa mère avait eu un mauvais pressentiment en remarquant que son petit garçon était né le jour du massacre des époux Karine et Mélassippe et de leur fils Antoine. Mutilés l'un et l'autre et écorchés vif, le glas sonna également pour leur fils, qui fut à son tour décapité.
Katell redouta que son enfant mène une vie de violence et de déceptions et redoubla d'attention et d'amour dans son éducation.
Elle prit le soin de le baptiser très tôt, observant le pope Nikolaidis plonger l'entièreté du minuscule corps dans l'eau bénite.
En bon ex-athée, Isao ne fut pas ravi de cette cérémonie qu'on imposa alors au nouveau-né. Il savait néanmoins que s'il voulait garder Katell dans sa vie, il fallait accueillir Dieu à ses côtés.
Il s'était converti pour elle, avait suivi l'endoctrinement orthodoxe de près, mais en avait fait le choix.
Le problème était qu'on n'avait jamais demandé à Angelos ce qu'il désirait faire.

Installé à Rethymno à cette époque, l'enfance du garçon se déroula sans encombre. Studieux, il suivait les enseignements de sa mère et du pope, allumait un bougie à l'effigie de la vierge Marie chaque soir et priait pour le bonheur et la santé de sa famille.
Il apprenait à faire à manger aux côtés de sa mère et avait le bonheur d'habiter une ville bordée par la mer, qui accueillait des touristes avec lesquels il pouvait créer des liens éphémères chaque été.
Ceux qu'il préférait étaient les Américains: ces derniers étaient superficiels au possible et dépensaient leur argent dans toutes les babioles inutiles qu'ils trouvaient. En sympathisant avec eux, Angelos réussissait à gratter quelques bijoux et repas sous couvert que dans son pays, rien ne semblait cher aux étrangers.

Conscient que cela n'entrait pas tout à fait en adéquation avec ce que sa mère attendait d'un fils pieux, il s'évertuait à cacher les babioles qu'on lui offrait et mentait à ses parents lorsqu'ils lui demandaient où il était passé. Conscient du péché que cela représentait, il ne manquait pas d'aller se repentir auprès de Dieu et de se flageller avec le fouet que possédait sa mère pour prouver sa culpabilité.
Il porte encore dans son dos, la marque d'une de ces séances où il demanda le pardon du tout puissant après avoir désiré frapper l'un de ses odieux camarades lorsqu'il avait 10 ans.
Pour ne pas avoir à confesser ses péchés, Angelos redoublait d'effort dans son éducation et ses études et s'évertuait à être le fils parfait aux yeux de ses parents et de sa communauté.


"Si l'homme le voulait, entre l'aube et la fin d'un jour, il parviendrait à une perfection divine."

Antoine ne renia pas Jésus Christ à la mort de ses parents, mais Angelos le fit à celle de son père.
La foi si tendrement construite lors de son enfance n'avait pas indiqué comment se sortir de cette drôle d'étape qu'est le deuil. Si son pope lui avait expliqué que l'âme de son père mettrait 40 jours à rejoindre les cieux, Angelos n'avait pas la patience de supporter la douleur plus longtemps que quelques heures. L'odeur de l'encens qui plânait pendant la cérémonie funéraire avait fini par le dégoûter et le fit quitter l'église, se hâtant d'aller vomir au dos de celle-ci pour y décharger un peu de sa douleur.

Il n'avait même pas eu la force d'aller jusqu'au cercueil de son père pour y jeter une poignée de terre, afin de lui rendre un utlime hommage. Sa mère lui en voulut beaucoup pour cet acte qu'elle qualifia de malveillant. Elle ne se garda pas de sous-entendre qu'à cause de lui, il ne trouverait peut-être jamais le repos auquel il avait bien le droit.
Selon elle, c'était à cet instant que le malin s'était emparé de l'âme meurtrie d'Angelos.

Du haut de ses 12 ans, il était désormais libéré d'un poids: celui de sa foi.
S'il ne fut pas renié par sa mère de suite, le jeune garçon tira sur la corde de son amour, qui fut quant à lui, conditionnel.
Il arrêta de venir aux messes et commença à céder aux pulsions qu'il avait tant tenté de réfréner jusqu'alors.
Les filles, la violence et le sentiment que tout était vain prirent les rênes de cette vie qui n'était plus empreinte de sens.
Il mit une distance formelle entre sa mère et lui, conscient que cette dernière vivait mal la perte d'Isao et de son fils bien-aimé.
Il alla néanmoins jusqu'au bout de son cursus scolaire et obtint son diplôme à la fin de ses années de lycée.
Ayant désormais un pied dans le monde adulte, il chercha immédiatement à se lancer dans la vie active pour subvenir aux besoins de sa mère, dont le travail en restauration ne marchait plus si bien depuis la crise financière.

Fort de son apprentissage en anglais, il se mit à travailler dans un hôtel en bord de plage en tant que réceptionniste. Ses collègues l'adoraient, puisqu'il ne se plaignait jamais ni des horaires, ni des clients aux requêtes improbables. Il se contentait de venir à l'heure, de faire son travail et de repartir pour aller faire un peu de sport ou traîner en bord de plage, une pita à la main.
Il rencontra ainsi d'autant plus de touristes avec lesquels il partageait un bout de vie, pouvait pratiquer son anglais et surtout oublier le regard blessé de sa mère chaque fois qu'il rentrait chez eux.
Conscient que leur cohabitation se passait mal, Angelos s'évertua à ne pas dépenser son argent dans les loisirs ou la fête et conserva précieusement sa part du lot, donnant l'autre moitié à sa mère pour participer au loyer ou aux courses.
Katell continuait de croire en la rédemption de l'âme de son fils, aussi tenta-t-elle de le ramener à l'église avec elle, lorsqu'elle y allait.
Un dimanche matin, elle alla même jusqu'à débouler à la réception de l'hôtel où Angelos travaillait pour l'asséner de reproches et pour lui confier qu'elle avait peur pour son âme, qu'elle craignait qu'il ne tombe dans d'irrémédiables vices.
Ce jour-ci fut une bénédiction pour Angelos, puisque sans cette intervention hystérique de sa mère, il n'aurait jamais rencontré Père Howard.

Ce dernier séjournait dans l'hôtel au moment de la crise de Katell et eut le loisir d'y assister aux premières loges, tandis qu'il débarquait d'Amérique pour venir se concerter avec l'un des popes de la ville.
Il venait en Crète pour le plaisir et les affaires: l'un de ses contacts l'avait informé qu'il avait quelques âmes en perdition à lui confier, au fait des pratiques et de la recherche menée par le père Howard.

Ce dernier ne pensait néanmoins pas tomber sur un drame entre une mère meurtrie par la culpabilité et un fils au-dessus de tout cela.
Il demanda à son traducteur ce qu'il se passait et comprit alors qu'une de ces âmes en perdition tant recherchées se trouvait face à lui, dans le corps d'un garçon à la fraîche vingtaine.

Fin opportuniste, père Howard s'approcha rapidement du taciturne Angelos et se fit ami avec lui, rapidement au fait qu'une figure paternelle manquait à la vie du garçon et qu'il pourrait s'en servir pour l'attirer dans ses rangs.
Bien évidemment, il ne fut pas simple de le convaincre de venir habiter à l'autre bout de la Terre pour rejoindre son organisation. Le jeune homme avait perdu la foi depuis trop longtemps et ne faisait plus confiance aux figures d'autorité.

Howard avait plus d'un tour dans sa poche et lui fit alors une confession: si l'âme de son père était effectivement en perdition, elle pourrait sans doute être retrouvée à Eagle Lake, puisque la ville abritait nombreuses créatures qui pourraient l'aider dans sa quête.
Pas né de la dernière pluie, Angelos demanda à avoir une preuve de tout ce qu'avançait père Howard et put alors voir au creux de ses mains la lumière de la rédemption.
L'homme qui l'accompagnait dans ses voyages n'était autre qu'un Beast et lorsqu'il se transforma en homme-ours pour prouver les dires d'Howard, Angelos faillit s'évanouir.

Ce monde occulte face auquel on l'avait mis en garde toute son enfance était donc réel.

Pris d'un rire nerveux, il demanda alors à en savoir plus et discuta jusqu'au levé du jour avec l'homme de foi, fasciné par ce concentré de mal qui vivait quelque part dans le Maine, à l'autre bout du monde.

-Nous avons besoin de gens comme toi dans nos rangs, Angel. Ensemble, nous pourrons rétablir l'ordre, aider ces malheureuses créatures à trouver la rédemption et te permettre d'entrer en contact avec ton père.

En l'espace de quelques mois, son nom de famille fut changé et on préféra le diminutif "Angel" à son prénom initial.
Son arrivée aux Etats-Unis ne l'excita pas tant: c'était un pays comme un autre, un climat différent du sien, mais ça lui convenait.
La seule chose qui lui manquerait réellement, ce serait la chaleureuse plage de Rethymno.
Sa mère s'était évidemment effondrée en apprenant que son fils unique la quittait pour aller travailler sur un autre continent.

-Je n'aurai jamais réussi à sauver ton âme du malin, c'est là ma plus grande défaite, Angelos.
Conscient que ces mots se voulaient tranchants comme des lames de rasoir, le susnommé haussa simplement les épaules en prenant sa valise, tournant pour la dernière fois le dos à sa mère.

"Dieu n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous"

Dès son arrivée à Eagle Lake, les règles furent claires: Angel avait le droit de faire ce qu'il voulait, tant qu'il raportait ses moindres faits et gestes à l'organisation.
Lui qui n'avait jamais été un fin partisan des groupes se retrouvait désormais membre de l'un d'entre eux, avec pour particularité que les Sanctii se cachaient des habitants de la ville.
Sa nouvelle famille n'était pas spécialement chalereuse et ne lui promettait ni la richesse, ni le confort: seulement la rédemption.

Et c'est finalement ce qu'il avait cherché pendant toutes ces années teintées de vice et de vide: ressentir quelque chose, un amour inconditionnel, dans lequel il pourrait trouver un peu de lumière. Celui dont son père l'avait innondé et dont il n'avait plus qu'un vague souvenir.
La chaleur de père Howard s'était posée sur lui et lui faisait miroiter un futur autre que celui qu'il avait imaginé. Son avenir semblait plus chaud que lorsqu'il était dans sa petite ville, aux côtés de sa mère.

Désormais, il était libéré de la culpabilité de Katell, n'avait plus que la sienne dont il tentait de se débarasser, chaque jour que Dieu faisait.
Les consignes pour cela étaient simples: il fallait qu'il s'intègre dans la ville. Qu'il se rapproche de ses habitants et qu'il comprenne les fonctionnements des obscures organisations qui régnaient en maître ici-bas.

Cette tâche incombait grandement Angel: il n'avait aucun intérêt pour ses semblables et encore moins pour ceux qui n'étaient pas humains.
Bien qu'emprunt d'une curiosité morbide pour certaines créatures, il les trouvait contre-natures et ne comprenait pas comment elles avaient pu voir le jour dans ce monde qui était celui des humains.

Pendant cinq longues années, il les observa de loin, construisant un physique solide sur lequel il pourrait s'appuyer en cas de pépin.
Il suivit les enseignements de père Howard à la lettre, restaurant peu à peu la foi qu'il avait si longtemps perdue.
Il ne croyait cependant plus en un Dieu qui l'empêchait de conspirer ou forniquer, mais adorait désormais celui qui avait permis à tous ses frères de trouver une porte de sortie dans leur malheur.
La bibliothèque de la ville lui permit de se renseigner sur le chemin des âmes au moment de la mort, sur La Forêt des Mânes et sur ce qu'elle pouvait abriter entre ses arbres.
Père Howard était cependant catégorique: il fallait tout d'abord qu'il finisse son éducation à ses côtés avant de s'aventurer dans la jungle qu'était Eagle Lake.

De ce fait, Angel ne sortit que très peu pendant cinq années, cultivant son corps et son esprit pour faire passer le temps, apprenant à faire preuve d'une patience qui fut qualifiée comme exemplaire.
Il remarquait que tous les pères chez les Sanctii n'approuvaient pas forcément cette façon de faire, mais sa foi en père Howard était immense. Sans vraiment mettre le doigt dessus, il lui faisait une confiance absolue.

Au fil de ces années, on lui apprit à repérer les différentes races d'Eagle Lake, comment devenir proche d'elles, comment se faire une place en tant que simple humain.
Et puis un jour, il fut prêt. On le somma de quitter les murs appartenant aux Sanctii et on lui demanda de boire une potion d'oubli pour ne plus jamais se rappeler de l'emplacement du bâtiment.
Cette organisation était toujours secrète et père Howard fut très clair à ce sujet: si Angel venait à révéler son existence à qui que ce soit, il serait immédiatement tué.

Il se retrouva alors dans un petit appartement à Old Town, dont les premières mensualités furent payées par l'un des membres de l'organisation en charge de son intégration dans la vraie vie. Il dut cependant rapidement trouver un travail et décida de se lancer en tant que barman dans l'un des pubs de la ville.
Ce fut cependant plus dur que ce qu'il avait imaginé: voir tous ces démons et vampyres festoyer gaiement alors que leur existence dépassait les intentions de Dieu, ça le foutait hors de lui.
Le moindre commentaire sur son statut d'humain était également mal vécu, aussi se fit-il virer d'à peu près tous les bars de la ville à cause des bagarres qu'il provoquait.
Toute la colère qu'il avait accumulée depuis l'adolescence avait le loisir de ressortir entre les murs de cette ville et le mieux, c'est que la police n'avait pas l'air d'en avoir quoi que ce soit à foutre.
Il fallait juste être un peu discret ou graisser quelques pattes avec l'argent qu'il n'avait pas et tout se réglait assez facilement.

Mais Angel savait qu'il fallait désormais qu'il se rapproche de ces monstres, pour mieux comprendre leur existence. Père Howard comptait sur lui.

C'est ainsi qu'il rencontra Daniel, un soir où il s'était encore battu contre un Beast.

-Eh beh, sacrée poigne pour un humain, mon pote!

Prêt à se lancer sur la personne à l'origine de ce commentaire, il remarqua que le jeune homme n'avait aucune intention de se battre tandis qu'il se protégeait en mettant ses mains devant lui.

-Eh! Non non non, je dis juste que t'as bien amoché mon pote, c'est tout !

Daniel était lui aussi un beast. Cependant, il ne désirait plus utiliser ses dons d'homme à moitié animal et prônait la paix. Il croyait dur comme fer que l'entente entre les différentes races était possible, aussi proposa-t-il à Angel et la personne qu'il venait de tabasser d'aller boire une bière pour calmer les ardeurs.

Dan expliqua à Angel que son pote était juste bourré et qu'il aimait bien taper sur de l'humain quand ça arrivait. Il était néanmoins surpris de l'avoir vu lui tenir tête et lui parla alors d'un club au sein duquel se battent plein de gros durs qui remportent un peu d'argent si le spectacle était assez au goût des juges.

-Ce que je trouve complètement déshumanisant d'ailleurs. Mais je connais quelques gars qui bossent là-bas et qui m'invitent à voir les combats toutes les semaines. Moi c'est pas trop mon truc je t'avoue.
-Combien on peut gagner pendant ces combats?

C'est ainsi qu'Angel et Dan devinrent ce qu'on pourrait qualifier d'amis et que le Grec trouva un moyen de gagner un peu de thunes, sans pour autant se faire jeter de tous les endroits où il bossait.
Au fil des semaines, il se fit bien déglinguer la gueule mais n'avait qu'un objectif: prouver à tous ces monstres que ce qui comptait, c'était la force qu'on cultive et pas une bête erreur de la nature.
Il en avait presque oublié sa promesse à père Howard et la mission pour laquelle on l'avait laissé pénétrer entre les murs d'Eagle Lake, pourquoi il portait désormais le nom d'Angelos Collins et plus celui qu'on lui avait attribué à la naissance.

Ce fut un soir, alors que Dan avait un peu bu, qu'il lui parla d'Elle.
Une démone en quête de pouvoir, une petite frappe qui cherchait à dépouiller les grands de la ville et qui cherchait des petites mains pour faire le sale boulot à sa place.

-Je connais un des mecs de son équipe, Lino. Il m'a dit qu'ils cherchent à s'étendre et j'ai pensé à toi. Tu serais payé à te faire tabasser la gueule, ça devrait pas trop te changer de d'habitude, pas vrai?

La veille de sa rencontre avec Mal, Angel eut beaucoup de mal à dormir. Il pensait à la démone, avait entendu dire que c'était une petite brindille qui ne payait pas de mine et il se demandait comment il pourrait intégrer ses rangs. Il avait bien sûr fait un rapport à Père Howard et l'avait informé de la suivante: s'il arrivait à entrer dans le groupe de la démone, il devrait disparaître pendant un temps, prouver sa fidélité envers elle. Il était néanmoins certain que cela lui permettrait d'atteindre un des vaisseaux des organisations d'Eagle Lake et qu'il pourrait même s'approcher des créatures qui pourraient l'aider à retrouver l'âme de son père.

Convaincre Mal qu'elle avait besoin de lui fut moins dur que prévu: il avait suffi qu'il soit à deux doigts de mourir et qu'il lui prouve qu'elle pourrait compter sur lui.
Il était resté lui-même, grande tête brûlée pleine d'ambition et ça avait marché. Maintenant qu'il avait un pied dans les bas-fond d'Eagle Lake, son aventure pouvait enfin commencer.

Ο Θεός να σε φυλάει