Evelynn Longleaf vivait dans une petite maison juste à l’extérieur de la ville. De tous les Gardiens, elle était celle qui vivait le plus près de l’Enclos du Sabbat. Personne ne savait rien du lourd fardeau qui pesait sur ses épaules. Personne ne pouvait vraiment le décrire et chacun des cinq élus vivait leur lien avec Eagle Lake d’une façon différente. Pour Evelynn, c’était un profond sentiment maternel. Célibataire de longue durée, depuis sa première déception amoureuse à l’université, et sans enfants, elle connaissait pourtant ce lien qui unissait à la vie et à la mort une mère et son enfant. Malgré ses traits durs, la magicienne du Coven d’Hécate était connue pour sa gentillesse hors norme et sa patience. Professeur apprécié de tous à Eagle Lake, elle avait enseigné à de nombreux apprentis les bases de la sorcellerie et s’entendait bien avec les autres factions.

Pourtant, un malaise la dérangeait depuis quelques jours. Elle n’était pas sortie de sa petite maison typiquement américaine. Plongée dans ses études, elle alternait café et sort de réveil pour ne pas s’endormir. De temps en temps, un frisson la prenait et sa main blanche se crispait sur son ventre, telle une mère inquiète pour son enfant. Un danger planait sur Eagle Lake et elle pouvait le ressentir jusque dans ses os. Lorsqu’elle en avait parlé à Mrs Crowley, cette dernière s’était montrée affable mais avait repoussé le problème. Tant qu’Evelynn ne prouverait pas les raisons même de son inquiétude, elle savait la mairesse n’en ferait rien. Même ses frères et sœurs, liés à la ville, ne ressentaient pas son inquiétude. Pendant plusieurs semaines durant, Evelynn ignora ce sentiment de danger imminent, jusqu’à l’avant-veille. Ce n’était plus une menace voilée et éloignée qu’elle ressentait. C’était la Mort. Sa présence insidieuse planait sur elle à tout instant.

Evelynn avait peur.

Personne ne la prenait au sérieux et c’était la ville elle-même qui était en danger. Elle voulait prouver ce qui se tramait. Plongée dans ses livres, tablettes et parchemins – doux mélange d’ancienneté et modernité – Evelynn cherchait la preuve ultime. Celle qui renforcerait ses doutes. Assise en tailleur sur son canapé, plaid sur les genoux, la brune caressait sa longue nuque en lisant un traité de magie défensive lorsqu’elle sentit Ses griffes éraflant le fil de son existence. Il était temps. Lentement, très lentement, elle leva les yeux vers celui quo prendrait sa vie. Point de créature divine ou issue de ses pires cauchemars, se dressait face à elle une silhouette terriblement humaine.

« Toi. » souffla Evelynn, estomaquée. A son accusation répondit un rire sardonique. « Impossible. Tu n’es pas des nôtres. Les Gardiens sont protégés par des sorts millénaires.
- Connais ton ennemi comme toi-même, grinça la voix à peine voilée par sa haine. Tu as aimé nos rituels n’est-ce pas ?
- C’était donc toi ? Comment ?
- Chaque nuit, depuis toutes ses semaines, nous t’avons enlevé une année de ta vie. Tu aurais vécu longtemps, très longtemps. Notre jeu aurait même continué quelques jours. Mais il est l’heure.
- Ainsi soit-il. »

Elle avait essayé de se protéger et d’être prise au sérieux en vain. Evelynn ferma les yeux alors que la longue lame se levait à son encontre. En rejoignant le coven, elle avait juré de ne pas blesser autrui. Lorsque le couteau frappa en plein cœur, elle gémit à peine. Elle était fière, elle avait protégé de son mieux sa ville. Puisse les Gardiens le faire à leur tour…

***

« C’est fait. »

Le meurtrier se dressait devant la scène de carnage. Il lui semblait que c’était un autre qui avait frappé encore et encore la pauvre Evelynn Longleaf. Sa mort était désirée et nécessaire mais il n’y trouvait plus aucun plaisir. Les mains tremblantes, couvert de sang de la tête au pied, l’assassin se redressa lorsqu’il sentit Sa présence. Il se retourna et mit un genou alors qu’Il s’approchait. Il frissonna lorsque le Père posa sa main sur son crâne, poisseux, pour le bénir.

« Merci pour ton sacrifice, fils. Relève-toi, notre mission est éternelle. Il sera bientôt temps d’accueillir nos frères en notre sein ».

***

Il fallut trois jours pour retrouver le corps. Une patrouille de police passait par là et fut interpellée par un voisin, inquiet du silence d’Evelynn malgré le vrombissement incessant qui sourdait de sous ses portes. C’était sans compter sur la scène d’horreur qu’ils découvrirent. Les mouches bourdonnaient déjà malgré la fraîcheur du crime. Bête, démons ou goule déchaînée, toutes ses théories furent émises. Pour massacrer un corps de cette façon, personne ne voulait croire qu’un humain ou un mage ait pu être derrière ce meurtre odieux.

Ils avaient tort.