Joe Frances était un lève-tôt. Il s'étira longuement, toussa tout ce qu'il pu et ramassa ses frusques. Elles étaient crasses et puantes, les trous qui s'étaient formés avec les années ne cessaient de s'agrandir de jour en jour. Il avait pourtant tenté de les rafistoler mais force était de constater que cela ne fonctionnait pas. Il s’extirpa de sa planque, sous l’un des ponts de la ville, et croqua dans le morceau de sandwich qu’il avait trouvé dans une poubelle la veille. Le jambon était un peu passé mais ses intestins avaient l’habitude. Joe était un sans domicile fixe assumé et pleinement satisfait de sa situation. Criblé de dettes depuis toujours et réchappé des Enfers, il s’était planqué sous sa barbe de dix mois et la saleté de la rue. S’il faisait pitié à certains passants, en réalité, il vivait sa meilleure vie. Sous son pont, il s’était trouvé une petite entrée qui donnait sur une cavité immense, à l’abri des intempéries et étrangement bien isolé. Il s’y était installé et avait sécurisé les lieux à sa manière, à l’aide de ficelles et de clous.

Ce matin-là, il était bien décidé à se faire payer un café bien chaud et à récupérer une viennoiserie de la veille quelque part. Un petit-déjeuner de luxe en cette saison, pour lui. Le ciel était étrange. Il lui sembla percevoir quelque chose derrière les nuages, mais il n’était pas sûr. Qu’importe. Il attrapa sa pancarte, ses mitaines pouilleuse et il quitta la old town pour se diriger vers la Virus Avenue où les gens pressés pour aller travailler, ne faisaient pas attention au montant qu’ils déposaient dans son gobelet en carton. Toujours une véritable aubaine.

Soudain, il lui sembla sentir l’air vibrer. Ses tympans vrillèrent et la ville sembla secouée par une onde de choc. Trop légère pour occasionner le moindre dégat, mais suffisamment forte pour être ressentie partout. Paniqué et toujours traumatisé par ses souvenirs d’ici-bas, Joe se mit à chercher frénétiquement d’où cela pouvait bien provenir. Puis, une lumière rouge irradia toute la ville, l’instant d’une seconde. Le vieux leva la tête vers le ciel et ses yeux s’écarquillèrent.

Un compteur était apparu dans le ciel d’Eagle Lake. 30/30.

L’Apocalypse était-elle en marche ?